Professeur dans une école libre hors contrat

Qui n’a pas en tête telle institutrice ou tel professeur qui aura marqué ses années de scolarité ? Jour après jour, les enseignants de notre enfance auront nourri notre intelligence et élargi nos horizons. On se souvient du mot de Camus, tout juste nommé prix Nobel, à l’instituteur de sa jeunesse : « Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement et sans votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé ».

Car c’est tout ensemble d’affection, de compétence et d’exemplarité qu’il s’agit. Le métier d’enseignant est un métier exigeant, qui nécessite une implication de toute la personne, cœur, corps et intelligence. L’environnement des écoles libres, particulièrement innovant, est un milieu particulièrement propice à cette vocation. Chaque école y choisit en effet ses méthodes, ses enseignants et son projet pédagogique : elle apporte un soin tout particulier à prendre en compte l’enfant sous tous ses aspects, et permet aux adultes qui y travaillent de vraies innovations pédagogiques.

Pour autant, les bonnes idées ou la bonne volonté ne suffisent pas. Qui dit liberté dit responsabilité : pour pouvoir expérimenter des méthodes sans sacrifier la scolarité de l’enfant, il faut définir clairement ses objectifs pédagogiques, se donner les moyens de les atteindre, et relever les défis du quotidien en s’adaptant à chaque élève. Petit tour d’horizon de ces objectifs, de ces moyens et de ces défis.

Les objectifs de l’instruction :

Le premier des objectifs de l’enseignant, c’est de développer l’envie d’apprendre de son élève. Quels que soit la tranche d’âge, le niveau social ou le caractère de ce dernier, une progression est toujours possible ; mais pour que l’enfant y soit déterminé, il faut savoir susciter chez lui l’enthousiasme et l’envie. Le pédagogue est donc d’abord un passionné : convaincu de l’importance de la connaissance, il veut transmettre à son élève le goût du beau, du bien et du vrai, réveiller en lui le désir d’apprendre. L’objectif premier de l’enseignement n’est donc ni l’obtention d’un diplôme ni la transmission de valeurs : c’est le réveil du goût de l’effort.

En plus d’encourager cette prise en main individuelle, le professeur cherche à susciter un climat de classe propice.  L’homme est un animal social : une bonne instruction s’appuie donc sur les ressorts de l’intelligence collective.  En développant un rapport sain à la note et à l’erreur, au travail de groupe et à la compétition, l’émulation entre les élèves favorise l’esprit d’équipe et la valorisation des talents de chacun. Dans une classe, tout le monde a quelque chose à apporter ; charge à l’instituteur de mettre en valeur les talents de chacun, d’encourager les bons comportements et de sanctionner les mauvais.

Mais la ligne d’horizon ultime de ces objectifs intermédiaires, c’est l’avenir. En effet, la mission de l’instituteur va au-delà de ce développement individuel ou de cette dynamique collective. L’objectif de l’enseignement est dans le futur : dans la lignée de la mission des parents (premiers éducateurs de leurs enfants), il permet de construire les adultes de demain. Adultes qui devront être instruits, équilibrés, curieux, dotés d’un solide esprit critique, capables de poser des choix éclairés et de contribuer au bien de la société… Le cahier des charges est exigeant !

Les moyens à mettre en place :

Poser un cadre et des limites : voilà le premier moyen. L’enseignant est le garant du bien de tous ; à lui de poser les règles. Les déplacements ou la prise de parole, la tenue des cahiers, l’apprentissage des leçons et les devoirs doivent faire l’objet de consignes claires et d’un suivi attentif. Dans l’organisation des apprentissages, l’enseignant doit donc être méthodique, et tenir minutieusement programmations et journal de classe. En prévoyant des progressions annuelles réalistes, il place l’enfant au bon niveau de difficulté. Rangée et agréable, sa classe doit donner envie de se mettre au travail ; les règles de vie y sont bien visibles, et les affichages didactiques sont clairs et en rapport avec les notions.

Faire alliance avec les parents ensuite permettra au professeur d’assurer la continuité entre la salle de classe et la maison, et donc l’efficacité des apprentissages. Prendre le temps de discuter avec eux du caractère de l’enfant est essentiel. L’enseignant ira ainsi y puiser à la source des informations sur les points forts et les besoins de son élève, comprendra mieux certaines de ses réactions au regard de la situation familiale, et sera en mesure de faire passer les bons messages. De plus, l’élève sentira très vite s’il y a des désaccords entre l’école et la maison, et saura les exploiter pour éviter de trop grands efforts. Il importe donc de manifester à l’enfant le soutien et la confiance réciproques entre les adultes (quitte à discuter ensuite en aparté des différends et à trouver des solutions).

Enfin, travailler en équipe contribue à assurer la cohérence éducative entre les classes. L’enseignement nait de la répétition : de classe en classe, l’enfant doit percevoir une continuité entre les méthodes choisies, les règles qui s’appliquent et le sens des apprentissages. Dans les écoles libres, c’est le directeur qui recrute l’équipe et qui insuffle cette dynamique, basée sur le projet pédagogique. Il importe donc pour chaque enseignant d’être bien en phase avec l’école choisie et le cadre qu’elle propose : c’est dans ce cadre qu’il pourra développer sa créativité et relever les défis éducatifs.

Les défis à relever :

Adapter le cadre aux spécificités de l’élève – une fois que ce cadre est solidement posé – est la partie la plus subtile du travail de l’enseignant. Beaucoup de familles qui se tournent vers l’enseignement libre sont dans l’attente de cette adaptation, qu’elles ne trouvent pas dans l’enseignement public. Méthodes ou notations adaptées, temps d’explication plus important dédié à l’élève, apprentissages concrets (par le biais de la manipulation ou de l’expérimentation), aide aux devoirs… Les possibilités d’accompagnement sont infinies. Le principe, lui, est toujours le même : il consiste à prendre le temps de se mettre à la portée de la compréhension de l’enfant. Les petits effectifs, très fréquents dans l’enseignement libre, favorisent cette possibilité de dégager du temps.

Pour autant, il importe de tenir le calendrier des apprentissages. Pas question, sous prétexte d’adaptation, de créer un décalage trop grand entre la classe supposée de l’enfant et son niveau académique réel. Là encore, tout est affaire d’équilibre. Ainsi, certaines pédagogies pratiquées dans le hors contrat (comme la méthode Montessori ou l’enseignement collectif et individualisé du Père Faure par exemple) encouragent l’enfant à choisir lui-même l’ordre des apprentissages (dans un cadre prédéfini bien sûr) ; d’autres favorisent les classes multi-niveaux, pour permettre la porosité des apprentissages entre les grands et les petits. Enfin, d’autres proposent un décloisonnement : si l’enfant a pris du retard dans une matière spécifique, il pourra aller dans la classe du dessous le rattraper. Quels que soient les dispositifs, ils nécessitent en tout cas une organisation rigoureuse pour pouvoir être suivis.

Dernier défi, et non des moindres : gérer la concurrence des écrans. Plus ils se multiplient dans l’environnement de l’enfant, plus ils divisent le temps de concentration dont il dispose. L’habituant à l’immédiateté et à la passivité, ils atrophient terriblement sa capacité à gérer la frustration ou à participer en classe. En outre, la concurrence est rude au moment des devoirs à la maison… Entre la mobilité de l’image et l’aridité du manuel, le choix est vite fait. L’enseignant aura besoin de toute sa créativité pour redonner à l’enfant le goût du réel. Cours en plein air, supports variés, passages réguliers d’une activité à une autre sont autant de moyens possibles pour ce faire. Qui nécessitent une bonne dose de patience et la capacité à sortir des sentiers battus ! Mais c’est justement cet alliage d’exigence et de créativité qui fait toute la valeur de l’enseignement libre, et qui redonne à l’enseignement ses lettres de noblesse, malgré les défis du siècle et les difficultés du temps.

Vous aussi, devenez professeur dans une école libre !

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